WOMEN ON THE ROAD FOR AFGHANISTAN

FEMMES EN MARCHE POUR L'AFGHANISTAN

Reportage de Nadia Bouzeghrane
pour EL WATAN


TRAFIC DE DROGUE, D'ARMES ET MONTEE DE L'EXTREMISME ISLAMISTE / L’Afghanistan fait toujours peur
Qui sont les Taliban ?
Khaled, un Pakistanais de Ben Ladden
LA NEGATION DES FEMMES AFGHANES / «Une condition inhumaine…»

Etre réfugié à Douchanbe


TRAFIC DE DROGUE, D'ARMES ET MONTEE DE L'EXTREMISME ISLAMISTE / L’Afghanistan fait toujours peur

Les cinq Etats d’Asie centrale qui composent le groupe de Shanghai (Russie, Chine, Tadjikistan, Kirghizistan et Kazakhstan) ont décidé de créer un centre antiterroriste qui sera basé à Bichkek, la capitale du Kirghizistan, pour faire face à la montée de l’extrémisme islamiste et de lutter contre le trafic d’armes et de drogue.

Réunis mercredi 4 juillet à Douchanbe, les chefs de ces Etats mettent en cause l’Afghanistan, qui partage 2000 km avec le Tadjikistan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan qu’ils accusent de propager sur leurs territoires l’extrémisme islamique et d’être à l’origine d’un important trafic d’armes et de drogue dans cette sensible région d’Asie centrale. Le Tadjikistan sort à peine d’une guerre civile de cinq ans. Une talibanisation régionale est à craindre. La Russie a menacé, le mois dernier de bombarder préventivement des bases islamistes en Afghanistan où s’entraînent, selon elle, des hommes qui vont ensuite se battre en Tchétchénie. Le président chinois, Jiang Zemin, a condamné la violence en Afghanistan et a mis en garde contre toute ingérence étrangère autre que celle des Nations unies ou des intermédiaires actuels. «Le problème afghan devrait être résolu par le peuple afghan dans des pourparlers pacifiques, sans ingérence étrangère», a-t-il dit. Le groupe de Shanghai a été créé en 1996 pour régler les différends frontaliers, mais l’extrémisme islamique montant dans la région, financé par le trafic de drogue, est devenu sa préoccupation essentielle. La fin des Taliban, dénoncés comme un phénomène de déstabilisation régionale, a commencé, affirmait dans un récent colloque au Sénat français, Peter Tomsen, ancien ambassadeur américain de George Bush pour l’Afghanistan. Le diplomate américain avait souligné que la politique de son pays doit être plus active. «La contribution américaine est de faire en sorte que le cercle extérieur soit utilisé pour contribuer à la paix.» Selon un autre diplomate américain, en poste à Paris, les Etats-Unis poursuivent quatre objectifs : un gouvernement multi-ethnique et démocratique ; l’expulsion de Ben Ladden et que l’Afghanistan cesse d’être une terre d’accueil des terroristes ; que toutes les factions se soumettent au principe des droits de l’homme ; l’élimination de la production et du trafic de drogue. «Washington est pour un cessez-le-feu, pour négocier un compromis entre les Taliban et la résistance. L’avenir de l’Afghanistan doit se décider par les Afghans sans interférence extérieure.» Ces déclarations traduisent une évolution dans la position américaine et annoncent l’éventualité d’un changement d’alliance des Etats-Unis dans la région. De source américaine, un rapprochement avec la Russie et l’Iran — ces deux derniers pays soutiennent discrètement la résistance du commandant Massoud contre les Taliban — est à envisager Washington qui, après avoir porté les Taliban, se retrouve dans une position difficile, car s’allier aux Russes et aux Iraniens contre les Taliban suppose un lâchage du Pakistan, à moins que celui-ci mette fin à ses ambitions sur l’Afghanistan et arrête de soutenir les Taliban. Le Pakistan, peut-il faire aujourd’hui marche arrière? Contre l’avis du Congrès, Bill Clinton, lors de sa récente tournée, a fait une pause à Islamabad. Etait-ce pour convaincre le Premier ministre pakistanais de cesser de soutenir les Taliban ? Le gouvernement américain semble de plus en plus reconnaître que la seule vraie opposition aux Taliban est celle du commandant Massoud. Il a autorisé récemment l’ouverture d’un bureau de la résistance afghane à Washington alors que l’ambassade afghane est fermée depuis 1995. Washington a commencé à évaluer les ressources et l’envergure de la résistance aux Taliban. Massoud aurait promis de livrer Ben Ladden aux Américains. La France, pour sa part, observe une «neutralité active» et un «dialogue actif» entre toutes les factions. Plus que jamais, la solution du problème afghan est politique, tenant à l’organisation d’élections générales pour un gouvernement de coalition dont seraient exclus les Taliban. C’est ce que nous a affirmé le chef de la résistance afghane, le commandant Massoud, tout en sachant que cela n’est possible qu’avec le soutien de la communauté internationale.

Par Nadjia Bouzeghrane

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Qui sont les Taliban ?

Considérés comme des Pakistanais par les Afghans qui leur sont opposés, les Taliban ont été formés dans des écoles religieuses pakistanaises très strictes, avec un objectif précis : celui d’imposer à l’Afghanistan un régime et des lois extrémistes fondés sur la négation de l’individu, qu’il soit homme ou encore plus femme.

La majorité des Taliban, d’ethnie pachtoune sont originaires des campagnes pauvres des provinces de Zahoul et Ouruzgan, dans le centre de l’Afghanistan. Leur chef, le mollah Omar, dont le visage est inconnu de la grande majorité des Afghans, est né en 1958, a étudié dans une médersa d’Orouzgan. Il a été investi le 3 avril 1996 par une assemblée de 1500 oulémas du titre d’émir de l’émirat d’Afghanistan. Les Taliban se sont développés dans une logique de djihad international soutenus essentiellement par les pays du Golfe, selon Olivier Roy, chercheur au CNRS et spécialiste de l’Afghanistan et de l’Asie centrale. La résistance au régime des Taliban considère ces derniers comme des étrangers à la solde du Pakistan qui veut occuper le pays. Pour accréditer cette thèse, les différents responsables de l’alliance du Nord, soit la résistance dirigée par le commandant Massoud affirment que l’offensive d’été des Taliban qui a commencé le 1er juillet touchant des provinces voisines de Kaboul est appuyée par 2500 soldats pakistanais et que des bombardements sont effectués depuis le territoire pakistanais. Autre argument de l’opposition du Nord aux Taliban, c’est le nombre de Pakistanais parmi les prisonniers. Ainsi sur les 15 des prisonniers qui nous ont été présentés, 13 Pakistanais et 2 Chinois habillés correctement, la mine soignée et bien portante. Il y aurait 1200 Taliban prisonniers de guerre dont 122 étrangers, principalement pakistanais, quelques chinois et yéménites. Le CICR les visite régulièrement pour leur distribuer de l’argent, des vêtements, des couvertures et des vivres.

Par N. B.

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Khaled, un Pakistanais de Ben Ladden

Barbe fournie, yeux perçants passés au khôl comme le reste des prisonniers, Khaled, un jeune Pakistanais fait prisonnier il y a un an, se tient droit, voire arrogant.

Dans un arabe parfait et sans accent, il nous explique comment il a rejoint les rangs des Taliban il y a six ans. Sa motivation essentielle, explique-t-il, est d’ «apporter le véritable Islam. Partout. Parce que l’Islam n’a pas de frontière». Quelle est cette religion qui vous autorise à tuer vos frères ? «Quand ils ont trahi leur religion on est obligés de leur faire accepter la vraie religion ou de les supprimer.» L’Afghanistan est pourtant un pays musulman ? «L’Islam qui y est pratiqué n’est pas correct.» Bien informé de la situation algérienne, il dit sur un ton calme, voire glacial, qu’il partage la conduite des groupes islamistes armés. « En 1999, Abassi Madani a remporté les élections. Pourquoi son parti a-t-il été privé de sa victoire ? Ce que je sais, c’est que le FIS doit vaincre et réaliser ses objectifs.» Formé et entraîné à Peshawar et à Karachi, il affirme qu’il y avait des Algériens avec lui. «Dans la dernière phase de la formation militaire, il y avait 35 combattants dont 16 Algériens.» C’était en 1993, à Khoss, entre le Pakistan et l’Afghanistan. «Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus.» Alors que nous lui demandions s’il était prêt à aller se battre dans un autre pays, il répond sans hésitation aucune : «Je vous ai dit que l’Islam n’a pas de frontières. Notre objectif est de le répandre partout à travers le monde, même en Occident.» Concernant le statut de la femme, l’intégriste pakistanais affirme : «Dans ma religion, la femme est protégée, elle a même plus de droits que l’homme qui doit subvenir à ses besoins, la loger, la vêtir, la nourrir. Elle, elle reste à la maison, l’homme est responsable d’elle. Si on couvre les femmes, c’est pour les protéger et éviter le viol. Il y a eu 20 ans de guerre en Afghanistan.» Quels sont vos rapports avec Oussama Ben Ladden ? «Nous partageons la même idéologie. On se bat aux côtés de ses hommes. Ce sont nos frères.» Oussama Ben Ladden disposerait de 2000 hommes originaires de différents pays arabes dont, semble-t-il, également d’Algérie.


Par N. B.

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LA NEGATION DES FEMMES AFGHANES / «Une condition inhumaine…»

Pour lutter contre l’oppression inqualifiable qu’elles subissent sous le régime des taliban et pour préparer l’avenir d’un Afghanistan enfin extirpé du moyen Age, les femmes afghanes peuvent dorénavant se prévaloir et faire valoir, aux niveaux national et international, une charte de leurs droits essentiels.

Réunies à Douchanbe, la capitale du Tadjikistan les 27 et 28 juin, plus de 200 Afghanes, qui ont fui Kaboul et les régions contrôlées par les Taliban, ou vivant aux Etats-Unis et en Europe, ont, dans le cadre de «femmes en marche pour l'Afghanistan», rédigé une charte des droits fondamentaux de la femme afghane dans son pays. Ces derniers concernent l’égalité entre hommes et femmes et l’exclusion de toute forme de discrimination ou de ségrégation fondée sur le sexe, la race, la religion ou autres ; à la sécurité personnelle et à ne pas être soumise à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants ; à la santé physique et mentale pour elle et son enfant ; à la protection égale de la loi ; à l’éducation institutionnelle incluant toutes les disciplines, y compris physiques ; à des conditions justes et favorables de travail, de circuler librement ; à la liberté de pensée, d’expression, d’association et de participation politique, de porter ou non le voile ou l’écharpe, de participer aux activités culturelles, y compris le théâtre et la musique. Les femmes afghanes veulent que leurs voix jaillissent de l’étouffoir dans lequel elles sont comprimées. Les 200 femmes afghanes, réunies dans la capitale du Tadjikistan — qui accueille plus de 3000 familles réfugiées — ont dit le calvaire qui était le leur avant qu’elles ne réussissent à fuir les régions contrôlées par les Taliban. Ces voix, d’autres afghanes vivant aux Etats-Unis et en Europe, se sont engagées de les relayer, de les porter devant la communauté internationale. «Vous êtes nos messagères. Vous nous apportez l’espoir d’une sortie du cauchemar dans lequel nous avons été plongées. Il faut que le monde entier sache que les femmes afghanes n’ont aucun droit, au nom de la religion. Ainsi ont décidé les Taliban», ont dit toutes ces femmes. «A l’intérieur des régions contrôlées par les Tabliban, aussi bien les hommes que les femmes sont réduits à une condition inhumaine. Ils ne peuvent rien dire, ils ont peur de la répression, de la prison, des coups de fouet, de la lapidation». Le régime des Taliban ne reconnaît pas les conventions internationales sur les droits humains, dont ceux des femmes. Privées de liberté de mouvement, d’éducation, de soins, ces dernières sont soumises à une extrême brutalité dans les régions contrôlées par les Taliban. Les témoignages attestant cette situation ont été nombreux. Ils sont attestés par Mme Radhika Coomaraswarny, rapporteuse spéciale de la commission des droits de l’homme de l’ONU qui a dirigé une mission au Pakistan et en Afghanistan du 1er au 13 septembre 1999. «Les droits fondamentaux des femmes dans les régions d’Afghanistan contrôlées par les Taliban étaient officiellement, massivement et systématiquement violés», souligne le rapport de l’ONU. «Même si la situation des femmes n’était pas, avant l’arrivée des Taliban, idyllique, la discrimination est officiellement approuvée et présente dans tous les aspects de la vie des femmes.» Ces dernières «sont victimes d’offenses graves dans les domaines de la sécurité personnelle, du droit à l’éducation et à la santé, du droit de circuler librement et de la liberté d’association». Lorsque les Taliban ont pris le contrôle de Kaboul en 1996, ils ont annoncé que tant que la paix ne serait pas rétablie, les filles n’auraient pas accès à l’éducation. Le rapport de l’ONU signale que devant les pressions exercées par la communauté internationale, quelques écoles ont été ouvertes ces derniers mois (une goutte d’eau) pour les petites filles de 6 à 10 ans. Ces écoles féminines sont gérées par le ministère des Affaires religieuses. Mais il n’y a aucun établissement secondaire ou supérieur pour les filles. Un autre problème grave concerne la santé mentale des femmes qui subissent à leur corps défendant l’enfermement. En effet, les décrets des Taliban qui obligent les femmes à rester à la maison, associés aux réalités de la guerre, ont transformé la vie des femmes en une survie difficile et déprimante. «Les Afghans de l’extérieur et tous ceux qui les soutiennent au sein de la communauté internationale peuvent alors leur donner une voix.» «La communauté internationale doit savoir que l’Afghanistan est en train d’être détruit en tant que peuple et culture.» «Il faut casser le cercle de la victimisation.» Tel est le cri d’alarme lancé par les Afghanes que nous avons entendues et rencontrées, que ce soit au Tadjikistan ou dans la vallée du Panshir, contrôlée par le commandant Massoud qui dirige la résistance contre les Taliban. Pour soutenir les femmes afghanes, une quarantaine de femmes, à l’initiative de Négar — une association de solidarité avec les femmes afghanes établie en France — sont venues d’Europe, des Etats-Unis et d’Algérie, apporter leur soutien aux femmes afghanes réunies à Douchanbe. Une de ces femmes a particulièrement été écoutée avec intérêt. L’intervention, à deux reprises, en ouverture et en clôture de la rencontre, à la demande des organisatrices, de Khalida Messaoudi, a été un moment fort de cette manifestation. La marche des femmes pour l'Afghanistan est soutenue par de nombreuses associations féminines internationales dont les associations algériennes RAFD, Rachda et Afcare.


Par Nadjia Bouzeghrane

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Etre réfugié à Douchanbe

L’association Ariana s’occupe des réfugiés afghans à Douchanbe. L’objectif essentiel de cette association, créée en 1997, est d’assurer l’éducation des enfants.

«Il ne faut pas qu’ils oublient leur langue maternelle, leur culture d’origine», souligne Mohamed Sultan Payan, le jeune président de l’association. L’association Ariana gère trois écoles avec 550 élèves encadrés par 35 enseignantes. C’est peu. Le but est d’ouvrir d’autres écoles. 2000 élèves sont sur des listes d’attente. Les parents qui ont les moyens paient des frais de scolarité, sinon, en l’absence de subvention, c’est le président de l’association, commerçant à l’origine, qui assure le fonctionnement de l’association et de ses activités. L’association a toutefois reçu du PAM (programme alimentaire mondial) une aide de 24 000 dollars pour la réfection des écoles mises à la disposition de l’association par les autorités tadjikes. Les réfugiés à Douchanbe, quelque 3000 familles dont les membres sont essentiellement des cadres moyens (médecins, enseignants, fonctionnaires...) viennent en majorité de Kaboul et de Mazar Echarif. L’Iran héberge plus de deux millions de réfugiés afghans et le Pakistan un million et demi. Partir chez soi revient cher. Les familles forcées à l’exil, pourchassées par les Taliban, ont dû vendre leurs biens pour payer leur déplacement. C’est le cas des Kaboulis d’origine tadjike, nombreux dans la capitale afghane, qui ont été forcés de partir par les Taliban. Ne pouvant exercer leurs métiers à Douchanbe, le Tadjikistan lui-même sort d’une guerre de cinq ans et ne peut, par conséquent, offrir des débouchés décents à ces réfugiés, ils vivotent de petits emplois, essentiellement du commerce de porte-à-porte ou de petite épicerie. Habiba, ingénieur à Kaboul, a été forcée de porter le tchadri pendant deux ans, puis chassée de son travail, elle s’est résolue à quitter Kaboul pour s’installer à Douchanbe, où son mari, médecin, tient une minuscule épicerie. «Je suis venue à Douchanbe pour l’éducation de mes filles. A Kaboul ce n’était plus possible.» Ce que la jeune femme n’a pas supporté, c’est l’anonymat du tchadri. «On ne sait pas quelle femme il y a derrière. C’est angoissant, ce sentiment d’isolement que ce voile intégral induit. On ne se reconnaissait plus, si ce n’est à la voix.»

Par N. B.

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