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Les femmes en cage
Une conférence sur le sort des Afghanes vient de se tenir au Tadjikistan.
Entre colère et témoignages accablants, reste l'espoir, à condition que
les démocraties ne les oublient pas.
ROISSY bruit de la rencontre d'une trentaine de femmes
américaines, algériennes, espagnoles et françaises débordantes d'activité
et de ferveur militante pour soutenir le combat des femmes en Afghanistan.
Il y a aussi des Afghanes venues des pays où elles ont dû s'exiler pour
avoir le simple droit de vivre dans la liberté. J'y retrouve mes amies,
Khalida Messaoudi, la militante algérienne, Shoukria Haïdar, la responsable
de Negar (organisation de soutien des Afghanes en France) ainsi que Patricia
Lalonde, cheville ouvrière de « Femmes en Marche pour l'Afghanistan ».
Décidément, avec des femmes de cette trempe, un homme peut être de ce
voyage ! Un Tupolev nous pose en Russie. Une nuit moscovite feutrée par
le glissement de la Moskova sous la place rouge assure la coupure avec
la lointaine Europe. Le lendemain, Tadjik Airlines nous accueille. Encore
un Tupolev avec un repas servi... sans alcool. Je pénètre dans le monde
musulman. Amical, mon voisin tadjik me sert un cognac, versé dune bouteille
frauduleuse. J'entre dans le pays des paradoxes. Duchanbé, la capitale
du Tadjikistan, somnole au soleil : le décalage horaire nous fait gagner
trois heures. Le tarmac tadjik est surchauffé. A la sortie de l'aérodrome
une foule nous attend les bras chargés de roses. Des enfants afghans en
costume coutumier nous font une haie amicale. Les Afghanes exilées retrouvent
leur famille : un visage connu, une silhouette espérée. L'émotion apporte
les larmes de joie. Les Européens éprouvent un bizarre sentiment de voyeurisme.
Emu, je remarque que mon amie Khalida s'est éloignée du groupe avec ce
petit rictus que je lui connais quand elle a mal au coeur. Elle sait ce
que cet effondrement dans les retrouvailles signifie de douleur trop longtemps
cachée. Puis les réfugiés nous offrent un repas concocté par leurs cuisiniers.
L'ambiance devient chaleureuse. Elle prévaudra tout au long du séjour
à Duchanbé. Le lendemain, les débats rassemblent plus de 350 Afghanes,
réfugiées, exilées et même exfiltrées de leur propre pays. Afghanes en
liberté avec ou sans voile. Elégantes sans être emmurées dans la burka.
Il est bon de préciser d'emblée que des gens qui souffrent ne manient
pas la langue de bois. Ils souffrent, cest leur croix et leur honneur.
Chacune de leurs paroles est un cri, un appel. Souvent une interrogation.
Parfois une imprécation. Toute la différence entre un dossier diplomatique
et un être en souffrance. Shoukria Haïdar ouvre la séance en rappelant
que son pays vit la guerre depuis plus de vingt ans. Qu'après l'oppression
communiste c'est maintenant celle des Talibans qui s'exerce dans une certaine
indifférence internationale. Leur comportement doit être assimilé au fascisme
: la situation inique faite aux femmes est sans précédent en Afghanistan
et unique dans le monde. Elle dénonce le déni institutionnalisé du statut
de la femme et exige le respect de ses droits comme une condition sine
qua non pour toute reconnaissance internationale. Petit bout de femme
au débit saccadé par l'émotion et la colère. Le ton est donné. Il fait
chaud. Lair dAfghanistan a envahi la salle. Les éventails le font circuler.
Il n'y a plus de différence entre une cérémonie de mariage et un enterrement
Semin Mushref, la présidente de l'Association de défense des réfugiés
au Tadjikistan, souligne que si la situation dans ce pays ami est difficile,
que dire de celles qui vivent sous des lois dun autre âge et sont cloîtrées
en Afghanistan. Leur survie va de la maison devenue prison à la tombe
qui sera délivrance. Les droits élémentaires à la santé, à l'éducation,
au travail, à la circulation leur sont désormais refusés. La musique est
interdite : il ny a plus de différence entre une cérémonie de mariage
et un enterrement. L'Afghanistan est devenu le royaume des morts-vivants.
Cest au tour de l'ambassadeur du gouvernement légal d'Afghanistan au Tadjikistan
de s'exprimer. Il est l'ancien dirigeant de la presse et de la télévision
afghanes. Il est fier qu'un événement exceptionnel comme celui d'aujourdhui
ait pu rassembler des personnes venues du monde entier. Il précise qu'avec
l'arrivée des Talibans les femmes journalistes, professeurs, médecins,
fonctionnaires ont pratiquement disparu du paysage. Il insiste sur le
combat mené par l'Alliance des Territoires du Nord : « Nous sommes
combattus par un pouvoir de fait et non de droit, aidé par des intérêts
extérieurs, avec un peuple exsangue et fatigué. Les Talibans ne sont pas
des Afghans, mais des terroristes instruits dans les madrassas pakistanaises
: nous nous battons contre des forces étrangères. Parmi les prisonniers
remis à la Croix-Rouge par le Commandant Massoud, on dénombrait plus de
dix nationalités différentes. » L'une après lautre, des Afghanes montent
en chaire et racontent. Femmes exilées, humiliées, courageuses. Leur vie
sous la tyrannie du nouveau régime liberticide de Kaboul fait frémir,
même si chacun dentre nous croyait connaître les exactions menées par
ces « étudiants en théologie » au nom d'un Islam dévoyé. L'ignoble ordalie
religieuse est devenue loi au pays de l'interdit et du silence. L'institution
du Ministère pour la promotion de la vertu et la prévention du vice fait
des Afghanes des prisonnières de leur foyer. La violation de l'ordonnance
Hudood sur des questions de moralité : fornication et adultère, implique
légalement de fouetter en public dans les stades les femmes jugées coupables.
Ainsi cette femme battue à mort pour avoir exposé son bras en conduisant.
Cette autre aux doigts coupés pour y avoir mis du vernis. A Kaboul, l'hôpital
unique, Rabia Balkhi, réservé aux femmes, ne dispose pour tout matériel
que d'un appareil de radiographie. Mais pour s'y rendre, il faut être
accompagné par un homme. Les dépressions et suicides des jeunes femmes
et des veuves devenus monnaie courante rappellent la situation pré-holocauste
faîte aux Juifs polonais. La « pax talibana » est celle du meurtre culturel
et physique organisé.
Battue à mort pour avoir exposé son bras en conduisant
Enlèvement des jeunes filles des groupes minoritaires tadjiks, hazaras.
Belles et jeunes pour les « marier » aux guerriers pachtouns ou aux «
Talibans non afghans». Nouvelle guerre ethnique planifiée. Mais les démocraties
refusent de relire l'Histoire. La violation des droits humains dans l'Afghanistan
des Talibans est devenu un euphémisme. Une attitude contraire porte le
nom de complicité objective. Dans le cas dramatique du génocide de cette
population, il faut avoir le courage de dénoncer celle du Pakistan, à
la recherche dune profondeur stratégique dans son conflit avec l'Inde.
Celle de l'Arabie Saoudite, qui achète les trahisons, comme celle de Hektmatyar,
afin déviter la contagion de la démocratie dans les pays arabes. Celle
des Etats-Unis à travers leur compagnie multinationale Unocal qui cherche
à pénétrer la région riche en hydrocarbures. La construction dun oléoduc
entre lAsie Centrale et le Pakistan, à travers... l'Afghanistan, explique
beaucoup de choses. Pétrole ! Vous avez dit pétrole ?
Une étonnante complicité doublée d'une duplicité morale
La possession dangereuse de missiles Stingers US par les Talibans, l'apparition
en Afghanistan du réseau Ben Laden, devenu « ennemi n° 1 » et gros pourvoyeur
de l'héroïne, source essentielle de revenus des Talibans, contraignent
la première puissance du monde à prendre ses distances avec ces criminels.
Balayons devant chez nous : la position française de « neutralité active
» s'apparente à une étonnante complicité doublée dune duplicité morale.
Le pays des droits de l'homme est en pleine absence de moralité. A moins
que nos responsables ne prennent au pied de la lettre la définition des
droits de lhomme, excluant ainsi ceux... des femmes ! Les Talibans sont
devenus des gens fréquentables. Avec la langue de bois tout est possible.
Les témoignages s'accumulent. Nous les entendons. Les fonctionnaires de
tous poils, onusiens ou européens, sont atteints de surdité. A Duchanbé,
la tension émotive devient insoutenable. Les éventails se sont arrêtés.
L'air est devenu irrespirable. Patricia Lalonde, l'organisatrice de notre
mouvement, vient à son tour pour témoigner. Elle est si émue qu'elle en
balbutie et ne peut poursuivre son discours. Bouleversée, elle se retire
sous les applaudissements. La conclusion de cette assemblée est apportée
par Khalida Messaoudi. Elle « le » seul député à avoir accepté de nous
rejoindre. Les députés européens avaient d'autres occupations ! Après
avoir écouté combien la vie des Afghanes est devenue une survie de chaque
instant, la militante algérienne s'est avancée vers le micro les larmes
aux yeux. « Dieu a donné aux femmes la force de pleurer. Je ressens
et je vous sens ! » clame-t-elle. Puis, Khalida explique que ce qui
se passe en Afghanistan nest pas un problème de l'Islam, mais de profit.
Elle appelle à l'unité et demande de regrouper les voix de la diaspora
et de leurs soeurs de l'intérieur pour la défense des Afghanes. Une ovation
debout remercie l'oratrice. Plus tard, nous établirons la déclaration
des droits essentiels des femmes afghanes reprenant l'essentiel de ce
qui fut débattu. Un appel de Duchanbé est lancé aux organisations et gouvernements
internationaux. Le plus grand danger pour ces femmes mises en cage serait
une reconnaissance de facto du régime criminogène des Talibans. Faisons
en sorte de refuser l'interprétation mortifère de la sourate du Coran
qui dit que la femme ne doit sortir que deux fois de chez elle : une fois
pour se marier, une fois pour la porter en terre. Nous sommes tous des
femmes.
Une femme afghane et son enfant sur une route du Panshir.
G.C.
Gérard Cardonne
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