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L'Aigle assiégé
Le Panshir résiste toujours aux assauts des maîtres de Kaboul. Le commandant
Massoud mène le combat militaire et lutte contre la misère.
DURANT le sommet des femmes à Duchanbé (nos éditions
d'hier), la tension se durcit avec les rumeurs de loffensive des Talibans.
Le séjour dans la vallée du Panshir se fait hypothétique. Enfin la nouvelle
tombe : le commandant Massoud, « l'Aigle du Panshir », envoie un hélicoptère
pour nous amener dans « sa » vallée. Les neufs élus, afghanes, algérienne,
américaine et français signent une décharge pour assumer les risques de
l'opération.
Le 29 juin, un vieil hélicoptère nous emporte vers la chaîne enneigée
de lHindou Kouch. Spectacle quasi lunaire des sommets. Vol acrobatique
face à des falaises vertigineuses et par des cols étroits. Vol tactique
quand l'engin effectue un touch-down à Taloquan, pour vite larguer un
moujahidin. Puis c'est la plongée dans la vallée du Panshir. Rivière qui
taille une vallée étroite de 80 à 2000 mètres entre des rives encaissées
sur plus de 150 km. Des villages aux maisons basses faites de terre ocre.
L'hélicoptère se pose dans un méandre où nous attendent des véhicules.
On nous remercie d'être venus de pays lointains, prouvant ainsi notre
attachement à la cause afghane. La situation des réfugiés est alarmante.
Pas d'abri, hormis des tentes avec des températures de - 25° en hiver
et + 50° en été. Cet hiver, des centaines d'enfants sont morts de froid.
Solidaires, les habitants du Panshir ont offert chacun une pièce de leur
logis. Un programme de construction de maisons d'une pièce en pierre est
en cours. Au plan alimentaire, une distorsion apparaît entre l'aide fournie
à Kaboul et celle accordée au Panshir. La solution serait d'éviter de
passer par le Pakistan, où sont installés le PAM et le CICR. Et par où
transitent les aides. Sans commentaires ! M. Eliaz Zara, ministre de l'éducation,
avec une épouse très engagée, insiste : « L'éducation est la base d'une
nation». C'est l'une des priorités de la résistance afghane pour préparer
l'avenir : instruire la jeunesse qui reconstruira l'Afghanistan. Pour
cela, dans les villages et les camps de réfugiés, des écoles pour garçons
et filles. Séparées, mais elles fonctionnent. Ainsi que des ateliers d'apprentissage
et d'alphabétisation pour les femmes. L'université ayant été détruite
par deux fois par les Talibans, un projet de reconstruction est en cours
dans le nord de la vallée pour une université de 250 étudiants dont 50
étudiantes. S. Henayat, responsable médical des réfugiés du Panshir, présente
la couverture sanitaire du Panshir : 3 hôpitaux et 10 cliniques. Certains
sont dirigés par des ONG, dont MSF, Solidarité, AIM et Médecins du monde.
Les conditions de vie dans la vallée sont sujettes à de très nombreuses
maladies. Le manque de personnel médical est criant. Un appel est lancé
à la diaspora : femmes et hommes, médecins et infirmiers sont attendus.
Dalan Sanj : jeux de mort pour des survivants
Près de 300 000 pauvres hères sont parqués dans le Panshir dans des conditions
dramatiques. Précarité, dénuement complet et malnutrition sont le lot
de ces oubliés. Dans sa vallée montagneuse surpeuplée, Massoud fait ce
qu'il peut avec ce qu'il a et ce que l'aide internationale lui accorde
avec parcimonie. Empruntant la route qui colle à la rivière, nous visiterons
trois camps avec un malaise grandissant. Dachak, 900 familles sont regroupées
dans des maisons d'une pièce en dur. L'école est propre, organisée...
sous des tentes sous la canicule. Et l'hiver ? Dénuement le plus absolu.
Sur des galets du Panshir, 40 élèves sous chaque tente, sans cahier, sans
crayon, sans tableau, suivent les cours du CP. Les enseignants, non payés
depuis plus d'un an, dispensent leur savoir avec l'oralité pour tout bagage.
Dalan SanJ, à la porte du Panshir, rassemble plus de 500 familles sous
des tentes arrimées à des vestiges de guerre. La terre inculte n'offre
aucune possibilité de subsistance. Alors, les réfugiés attendent la distribution
de nourriture toujours insuffisante et aléatoire. Les enfants jouent à
cache-cache entre les blindés et pièces d'artillerie russes. Jeux de mort
pour des survivants. Pour quelle vie ? Les canons sont braqués vers le
goulet du Panshir. La menace est latente à la porte de l'enfer. Les mots
de Taliban et de Pakistan sont les loups-garous de cette fin de millénaire.
Ils massacrent les petits enfants et emprisonnent à vie les femmes. Le
camp d'Anaba nous fait tomber dans l'inacceptable. Le chef du camp, un
médecin afghan, nous dit : « Merci d'avoir abandonné votre vie facile
pour affronter notre détresse et notre dénuement. Ce sont votre présence
dans ces lieux de désolation et vos voix à l'extérieur qui sont importantes.
Ici, tout est insuffisant : santé, alimentation, abris. L'abandon de ces
gens est une non-assistance à personne en danger de mort.». Plus de
mille familles, composées surtout de femmes, de veuves et d'orphelins,
sont installées à Anaba depuis plus d'un an. Sous les bombardements des
Talibans, elles ont fuit leur maison au nord de Kaboul. Un seul point
d'eau. Une clinique MSF est ouverte chaque matin pour les soins urgents.
Sur ces versants caillouteux, la situation en hiver est indescriptible
: les réfugiés meurent de froid sous la mince toile de tente. L'été, ils
crèvent : ici la mort ne pourrit pas ! L'école entasse des classes de
80 élèves sous tente : dépenaillés, pieds nus et attentifs. Ils croient
en un avenir ! Lequel ? Dehors sur la piste passe une voiture du CICR.
Notre rancoeur est ostensible. Celle des réfugiés est désabusée. Les ONG
passent et repassent. Puis elles s'en vont, abandonnant souvent leur oeuvre
en cours de route.
La porte de l'enfer s'est ouverte pour laisser passer les réfugiés
Dans la nuit du 30 juin des grondements ébranlent le Panshir. La montée
au front encombre la piste de véhicules militaires : camions de moujahidines,
camions lance-roquettes, canons anti-chars. Cela sent la poudre ! M. Younus
Qhanouny, le porte-parole du gouvernement, nous informe que l'ennemi a
déclenché une offensive au nord de Kaboul avec près de 5000 hommes, dont
2500 Pakistanais et 800 hommes de Ben Laden. L'attaque a été repoussée
: l'ennemi aurait laissé plus de 350 tués sur le terrain. Les moujahidines
auraient détruit ou capturé une dizaine de chars, et fait une trentaine
de prisonniers. Nous partons en direction de la porte du Panshir : la
porte de l'enfer s'est ouverte pour laisser pénétrer le flot des réfugiés
abandonnant la plaine de Chamali. Ils ont marché toute la nuit. J'ai vécu
sur le terrain la honte de Srebrenica et du Kosovo. Ici, sur la piste
du Panshir, dans la chaleur accablante, j'ai mal d'entendre ce même frottement
des pieds dans la poussière, de croiser ce même regard de terreur et de
désespoir de ces gens qui fuient la peur au ventre, d'entendre ce souffle
qui n'en peut plus de cette femme en tchadri qui porte sous son voile
une forme de bébé. J'ai mal et j'ai honte. Au passage de la cohorte de
ces malheureux, les réfugiés des camps accourent à leur passage avec de
l'eau et du thé. Une galette de pain. Cest tout ce qu'ils ont. Ils donnent
leur dernière richesse à leurs frères et soeurs dans le malheur. Ils savent.
15 prisonniers, des Pakistanais et des Chinois !
Nous nous trouvons face à 15 prisonniers avec toute latitude pour les
interroger. Assis au milieu deux, nous les interrogeons en anglais, car
ils ne parlent pas le pachtou. Ils ne sont pas afghans : 13 sont pakistanais
et 2 chinois ! C'est un échantillon des ennemis étrangers capturés au
combat. Aux questions posées, les prisonniers répondent librement, même
avec agressivité. Ils admettent être entraînés dans les madrassas pakistanaises
au Pendjab et à Islamabad en vue d'apporter l'islam « purifié » en Afghanistan
perverti par les idées de l'Occident. Cest pourquoi ils sont venus combattre
Massoud et les siens. Ils se disent prêts à tuer les musulmans s'ils n'appliquent
pas la charia. « Quant aux autres, nous les tuons seulement s'ils n'acceptent
pas notre religion !» Acculés au raisonnement, ils lâchent qu'il n'y
pas de frontières pour l'islam qu'ils doivent répandre dans le monde.
A propos des femmes, la leçon apprise est débitée : dans l'islam, la femme
a plus de droit que l'homme puisque celui-ci est tenu de lui fournir protection,
nourriture et logis. Elle doit se vêtir de manière décente et se protéger
du regard des autres hommes afin de ne pas provoquer des idées qui tachent
les valeurs de l'islam. Cynisme ? Au matin de notre départ, nous avons
un entretien avec Massoud. « L'Aigle du Panshir » a quitté le combat pour
nous rencontrer et délivrer un message vers l'extérieur. Puis nous repartons.
Ma tête est pleine d'images d'un écolier sans chaussures, d'un enseignant
sans salaire, d'une femme sans sourire. D'images de kalachnikov pour tout
bagage pour sauver sa dignité et sa liberté. D'images de femmes et d'hommes
fiers qui ne veulent pas plier malgré la tyrannie religieuse et les pressions
extérieures. Ils sont debout face aux portes de l'enfer. Le ciel se colore
d'ocre rouge. L'Afghanistan continue de souffrir. En dépit du vacarme
de l'hélicoptère, j'entends le bruit du Panshir. Par le hublot, j'aperçois
un aigle, glissant haut dans le ciel...
Les enfants du Panshir grandissent dans le décor de la guerre.
G.C.
Des prisonniers représentatifs du fanatisme de l'alliance islamiste qui
déstabilise de nombreux pays arabo-musulmans.
Gérard Cardonne
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