FEMMES EN MARCHE POUR L'AFGHANISTAN Translation from English
to French courtesy of Miriam Pountney.
Interview du Commandant
Ahmad Shah Massoud
Un groupe de journalistes
afghane et d'autres nationalités accompagné de représentantes de la conférence
"Femmes en marche pour l'Afghanistan" (organisée à Douchanbé, Tadjikistan
du 26 au 28 juin 2000 par l'association Negar dont le siège est à Paris) s'est
rendu en Afghanistan le 29 juin. Au cours de son séjour de 4 jours dans la
Vallée du Panjshir, le groupe a pu visiter les camps de déplacés internes,
les infrastuctures éducatives et sociales, les camps de prisonniers de guerre
ainsi que rencontrer la population locale. Ce séjour coïncidait avec la dernière
offensive d'été des Taliban au nord de Kaboul, les 30 juin et 1er juillet.
En visitant les écoles dans les territoires du Front Uni / de l'Etat Islamique
d'Afghanistan dans la province de Kapisa, le groupe a rencontré des centaines
de personnes nouvellement déplacées de la plaine de Chamali fuyant les zones
en guerre et ont pu authentifier leurs récits. Au matin du 2 juillet, le groupe
a rencontré Ahmad Shah Massoud, commandant des forces anti-Taliban en Afghanistan.
Extraits de la séance de discussions et de questions/réponses entre les participants
Dr. Maliha Zulfocar, Hassina Sherjan-Samad, Chekeba Hashemi, Manila Khaled,
Mary Quinn, Nadjia Bouzeghrane (El Watan daily), Gérard Cardonne, Françoise
Causse, Sophie Marsaudon (Radio France International) et Massoud enregistrée
par Hassina Sherjan-Samad, correspondante de AAR et envoyée spéciale à la
conférence de Douchanbé. Enregistrement, photos et texte de l'interview et
du séjour sont disponibles sur www.afghanradio.com, rubrique "Interviews".
Il est à noter que le Commandant Massoud a signé
la charte des droits essentiels de la femme afghane. Remarques de bienvenue: Ahmad Shah Massoud:
Tout d'abord, je voudrais souhaiter la bienvenue à nos soeurs en Afghanistan.
J'apprécie votre courage et votre dévouement qui vous ont poussées à venir
rendre visite de près à votre peuple et à votre pays pour avoir ainsi une
connaissance de première main de la situation dans des conditions si chaotiques
et sensibles. J'espère que c'est le véritable début du retour des Afghans
et des Afghanes dans leur pays pour qu'ils puissent rencontrer leurs compatriotes
et sentir la douleur et l'agonie de leur peuple. En ce qui concerne la situation
en Afghanistan, je répète que contrairement à ce qui est diffusé et même déclaré
par certains Afghans éduqués qui vivent en dehors du pays que ceci
n'est qu'une affaire interne, une lutte de pouvoir la question est
beaucoup plus complexe que cela. Nous avons dit que le Pakistan, depuis l'époque
de Zia ul-Haq [l'ancien dirigeant militaire pakistanais] et depuis l'intervention
soviétique et communiste contre les Afghans... a adopté un programme et une
stratégie visant à permettre d'utiliser à l'avenir l'Afghanistan comme tremplin
pour régler ses affaires en Asie centrale... et pour que le Pakistan devienne
un carrefour et une puissance régionale. A la suite de cette politique pakistanaise
de longue date, le Pakistan n'avait pas imaginé que la chute de Kaboul et
des communistes [1992] viendraient du Nord. Au lieu de cela les Pakistanais
pensaient que cela viendrait des mains des officiers Pakistanais et des factions
[afghanes] subordonnées du Sud de Kaboul... Maintenant qu'il s'est rendu compte
qu'il était incapable d'arriver à ses fins, et, permettez-moi d'être franc
et de le dire, a été incapable d'installer son protégé, [le leader du Hezb-i
Islami Gulbudin] Hekmatyar, le Pakistan n'a eu de cesse jusqu'à ce jour de
conspirer, et chaque régime pakistanais depuis lors a suivi la politique et
la stratégie de Zia ul-Haq. Il n'y a aucun doute que nous avons eu notre part de problèmes
internes, et que cette crise prend en partie ses racines dans ces causes internes.
Mais la principale cause, à mon sens, est le Pakistan et les interventions
étrangères. Je répète que tant que la communauté internationale n'exerce pas
la pression nécessaire sur le Pakistan, tant qu'elle n'arrête pas le bras
de l'intervention pakistanaise dans les affaires afghanes, il est certain
que les flammes de la guerre ne s'éteindront jamais dans ce pays. D'un autre
côté, nous avons annoncé à de nombreuses reprises que la seule solution au
problème afghan passe par un règlement pacifique, par des négociations et
des pourparlers... Et dans le cadre de ces pourparlers, la meilleure façon
est d'aller vers les élections, vers la démocratie et de permettre à la population
de déterminer son sort. Nous avons dit plusieurs fois à Hekmatyar: "Si vous pensez vraiment avoir de l'influence
et être efficace, alors bon, organisons des élections et donnons aux gens,
légitimement, légalement et officiellement, la possibilité de vous accorder
leurs suffrages". Maintenant, notre proposition est la même envers les Taliban.
A diverses occasions, j'ai dit aux délégations taliban qui sont venues dans
le Panjshir pour des entretiens avec nous: "Vous déclarez représenter les tribues pachtounes nous sommes d'accord.
Vous dites que la majeure partie de l'Afghanistan est sous votre contrôle
nous sommes d'accord. Vous dites que les gens vous acceptent
nous sommes d'accord. Très bien, s'il y a une telle confiance, alors organisons
des élections. Vous, les Taliban déclarez détenir la majorité et bénéficier
du soutien de la population; alors que craignez-vous? Au lieu de continuer
à nous battre et à verser du sang, organisez des élections et prenez pouvoir
de façon légitime". Notre position est toujours la même. Nous n'avons
jamais estimé que l'option militaire était la solution, les combats d'hier
l'ont encore démontré. Les Pakistanais ont mené les préparatifs de ces offensives
pendant plus d'un mois. Savez-vous que pendant la première offensive, 1600
combattants pakistanais, et pendant la deuxième, environ 1000 combattants
avaient été envoyés pour participer aux combats d'hier. Ceci n'a rien à voir
avec les madrassa [écoles coraniques] pakistanaises ni avec les recrues des
Taliban. Nous avons tous vu qu'avec l'aide de Dieu et la détermination du
peuple, ils ont subi une défaite en quelques heures et ont été obligés de
se retirer. Mais nous n'avons jamais été d'avis que la guerre était une solution... Revenant à mon idée de départ; il est malheureux qu'à la
suite de malentendus, certains de nos écrivains et érudits, au lieu de se
rendre compte de la complexité du problème de l'ingérence pakistanaise, passent
leur temps à lancer des accusations contre l'un ou l'autre camp. La clef de
la solution afghane est entre les mains de la communauté internationale et
des Afghans où qu'ils résident. Qu'ils s'unissent et se lèvent pour
dénoncer l'intervention pakistanaise comme ils l'ont fait pendant l'intervention
soviétique... et finalement préparent le chemin vers la démocratie et les
élections, pour que chaque individu puisse jouir de ses droits naturels. Session de "questions-réponses"
- Outre la correspondante d'AAR, d'autres membres de la délégation ont également
posé des questions. Q: En quoi les femmes afghanes, à l'intérieur comme à l'extérieur
du pays, peut-elle jouer un rôle dans le rétablissement de la paix dans le
pays? R: Comme elles l'ont fait à l'époque de la Djihad [lutte
contre les communistes], les femmes afghanes peuvent encore aujourd'hui jouer
un rôle très efficace à l'intérieur et à l'extérieur du pays pour le défendre
contre les interventions extérieures et aider au rétablissement de la paix.
Les Afghanes de l'extérieur peuvent établir des liens avec leur peuple, en
particulier avec des femmes à l'intérieur du pays, dans le but de les aider
financièrement et moralement. Il n'y a pas de problème: vous pouvez visiter
ces régions, ouvrir des écoles pour filles, fonder une université, il y a
beaucoup d'autres manières d'établir des contacts et de les aider. Q: Question d'une reporter française sur l'évaluation de
Massoud des dernières offensives. R: Ainsi que l'a déclaré le général [Pervez] Musharraf, ils
avaient l'intention de porter le coup final... parce qu'il pense que pour
poursuivre ses buts illicites en Afghanistan, notre résistance est un obstacle...
Malgré les mises en garde internationales et onusiennes à l'égard des Taliban
pour qu'ils ne démarrent pas cette offensive, comme vous en avez tous été
témoins hier, ils ont lancé une attaque majeure. Au début, ils avaient gagné
du terrain dans certaines localités, puisques nos lignes ont été repoussées
de 2 et 4 km respectivement. Mais avec l'aide de Dieu, grâce à la résistance
de la population et aux moudjahidins armés [combattants de la liberté] dans
la région, l'opération a échoué. D'après mes [premières] estimations, leurs
pertes pourraient s'élever à environ 150 tués et plus de 200 blessés. L'attaque
d'hier était lourde. Ils ont aussi perdu au moins 6 chars, 10 à 15 véhicules
militaires de toutes sortes.... Mais ceci ne signifie pas que les Taliban
et les Pakistanais ont renoncé à leur idée de poursuivre la guerre, et je
suis sûr qu'ils préparent la prochaine série de combats. Q: Question d'un participant américain sur les actions spécifiques
que Massoud veut voir les USA mener contre le Pakistan, pour ouvrir la voie
vers un règlement pacifique de la crise. R: Dans ce cas-ci, les USA peuvent exercer des pressions
politiques aussi bien qu'économiques sur le Pakistan. Ces pressions pourraient
très bien empêcher le Pakistan de poursuivre son ingérence. Il peut s'agir
de prêts de la Banque mondiale, ou d'autres accords bilatéraux... La majorité
des équipements militaires pakistanais est fabriquée aux USA, et mettre fin
au trafic [d'armement et de pièces détachées] constitue une pression supplémentaire
sur le Pakistan... Q: Question d'une participante afghane concernant les besoins
des déplacés internes et la quantité et la qualité de l'aide fournie par les
ONG internationales. R: Le problème le plus aigü avec les déplacés internes est
la fourniture de nourriture. Contrairement à ce que les ONG et même les Nations
Unies annoncent, ils n'ont pas été capables de couvrir de manière appropriée
les besoins minimaux pour la survie des réfugiés. Les personnes qui arrivent
dans la Vallée [du Panjshir] ne transportent avec eux de la nourriture que
pour quelques jours. Si, Dieu nous en préserve, les combats s'intensifient
et se prolongent, nous ferons tous face à des difficultés exceptionnelles.
L'aide la plus urgente est alimentaire, puis les abris, puis d'autres nécessités.
La situation sur le plan médical est meilleure. Q: Que pensez-vous de la Loya Jirga proposée par [l'ex roi]
Zahir Shah? A: Nous sommes en d'accord avec tout mouvement pacifique
tendant à vouloir résoudre la crise afghane. Si Zahir Shah pouvait réunir
une Loya Jirga et si la paix pouvait être restaurée de cette manière, non
seulement je n'aurais pas d'objection à formuler, mais nous coopérerions et
fournirions l'aide nécessaire. Q: Préférez-vous une situation qui donnerait un rôle aux
Taliban dans le gouvernement, ou bien les combats doivent-ils être poursuivis
jusqu'à l'élimination totale des Taliban et de leur influence? A: Nous ne sommes pas favorables à la poursuite de la guerre
dans notre pays. Nous savons également que nous ne pouvons pas fonder un gouvernement
de coalition durable avec les Taliban. Nous préférons un gouvernement provisoire
[de coalition] avec les Taliban pour une durée de 6 mois ou un an pour mettre
fin à la guerre et aux massacres d'Afghans par des Afghans... puis préparer
des élections. Q: Quel message pouvons-nous rapporter aux autres Afghans
et que pouvons-nous faire? A: Tous les Afghans, nos frères et soeurs qui vivent à l'étranger,
peuvent rendre de grands services à la population qui est restée dans le pays
en établissant des contacts avec elle. Par exemple dans divers domaines tels
que l'assistance aux veuves en matière de soins de santé, d'éducation, d'argent
et même de travail manuel, vous pouvez fonder de petits cercles en France
ou en Allemagne ou ailleurs. En établissant des contacts directs, comme ce
voyage qui est sans précédent, vous serez d'une grande aide. Il y a peu de
temps, quelques femmes françaises sont venues et ont ouvert un hôpital et
rendent maintenant de grands services. N'avons-nous pas deux femmes médecins
à l'étranger? Quel est l'obstacle? Dans la mesure du possible, nous sommes
prêts à accorder l'aide nécessaire... Défendre les droits de l'homme avec
des mots ou crier des slogans, ou les écrire sur papier est facile. Venez
et faites quelquechose de concret. Quel problème rencontrer-vous pour ouvrir
une école ici?... les conditions sont réunies, mais malheureusement nous les
Afghans avons une habitude: nous parlons trop et agissons peu. Q: Quelles sont à vos yeux les erreurs, politiques ou autres,
qui ont été faites par le passé? R: Il est évident que ceux qui agissent font aussi des erreurs.
Aucun être humain n'est parfait. L'insuffisance la plus significative dans
le passé a été le manque d'unité entre les factions [partis pendant la période
de résistance contre les Soviétiques]. L'éventail du nombre de factions et
leur dispersion a été la cause de beaucoup de désastre en Afghanistan. Q: Quelles seront les conséquences du retour d'Ismaïl Khan
[ancien allié de Massoud qui s'est échappé des prisons taliban il y a quelques
mois] ou de l'implication probable des généraux [Abdul Rashid] Dostom et [Abdul]
Malik sur l'equation militaire et politique à l'intérieur du pays? R: Pour chacun, vu les limites qu'ils ont, faire face aux
interventions étrangères est déjà efficace. Je pense que la libération d'Amir
Ismaïl Khan aura des conséquences importantes. Sa libération nous permettra
d'étendre la résistance dans les régions ouest et sud-ouest du pays, et ainsi étendre et répartir la pression qui
a été imposée jusqu'à présent à nos forces. Q: Quel est votre avis sur l'éventualité d'une coopération
entre [le leader de faction Pir. S. Ahmad] Gilani et les Taliban? A: Evidemment, puisque Pir Saheb Gilani vit au Pakistan et
qu'il est sous pression des autorités pakistanaises et de l'ISI (Services
d'Intelligence pakistanais), je suis sûr... dans le fond c'est quelqu'un de
bien qui a pris part au Djihad... mais dans les conditions dans lesquelles
il se trouve au Pakistan, il est obligé de faire des concessions. Q: Une fois la guerre terminée, quel rôle vous attribueriez-vous
dans l'Afghanistan de demain? R: ... Le rôle de plus significatif que je vois pour moi
à l'heure actuelle est de résister aux ingérences extérieures et de préparer
la voie pour que chaque Afghan puisse décider librement de son avenir. A partir
de là, je n'ai pas de souhait particulier concernant une position dans un
gouvernement. Je pense que prévenir les ingérences étrangères et être capable
de mettre en place une constitution qui permette aux gens d'exercer leur droit
à l'auto-détermination sont les services les plus significatifs qu'on puisse
rendre... Le meilleur régime qui peut à l'avenir avoir la confiance de la
population, où il n'y aurait besoin ni de coup d'Etat ni de conflit armé,
est celui issu de l'exercise de la démocratie et des élections... une nécessité
pour l'Afghanistan. Chaque individu, homme ou femme, devrait avoir le droit
de vote. Hommes et femmes auraient le droit d'élire ou de se faire élire...
C'est à cet égard que je me vois jouer un rôle majeur... préparer la voie
vers ce régime et cette démocratie. Q: Vous avez affronté et vécu au fil des ans de nombreux
problèmes dans le cadre de la cause de la liberté pour l'Afghanistan, comment
voudriez-vous que l'on se souvienne de vous dans l'Histoire? A: Un serviteur du peuple et un serviteur de la nation. Tous droits de traduction et de diffusion réservés à AAR
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Copyright © Women on the road for Afghanistan 2001 | ||||||||||||||||||||||